Alors que le flyskam assombrit l’espace aérien d’Europe du Nord depuis 2019, AirFrance vient d’annoncer la compensation carbone de tous ses vols intérieurs à compter de 2020. Porteur d’une offre de tourisme responsable, la compagnie aérienne ré-oriente sa proposition de valeur en prenant en compte l’écologie et notamment l’empreinte carbone. Décryptage d’un virage vers un stratégie de marketing durable.
Une réponse aux attentes paradoxales des voyageurs : voyager sans polluer
Le flygskam (traduire “honte de parendre l’avion”) a émergé en 2018 en Suède, pays de Greta Thunberg, si bien que les suédois, habituels gros consommateurs d’avions, ont freiné leurs déplacements. Conséquence immédiate, le trafic aérien stagne voire a reculé sur les vols internes. C’est que l’on appelle un signal fort.
Plus généralement dans le monde, les évolutions socio-culturelles liées à l’écologie accélèrent depuis plus de 2 ans. L’effet “Greta Thunberg” notamment a irrigué toutes les couches de la population, en France comme dans le Monde. La conscience écologique évolue positivement, si bien que grand nombre de français joignent les actes à la parole dans leurs actes de consommation.
A l’instar de la consommation de viande, jugé socialement pour ne pas respecter le bien-être animal, et écologiquement pour son empreinte carbone, le voyage en avion est devenu un “cas de conscience” pour nombre de citoyens.
Le secteur aérien représente 5% des émissions carbone mais cristallise les critiques. L’avion représente une face visible de pollution, bien plus que le textile que nous portons quotidiennement, pourtant industrie responsable de 8% des émissions GES dans le Monde.
La visibilité des émissions de l’avion en fait sa vulnérabilité vis à vis de la conscience environnementale des citoyens.
La visibilité des émissions de l’avion en fait sa vulnérabilité vis à vis de la conscience environnementale des citoyens : les changements de comportements débutent toujours par des renoncements visibles et socialement reconnus. En effet, il est plus facile de déclamer à la machine à café “j’arrête de prendre l’avion” pour susciter admiration et respect plutôt que “je n’achète plus de vêtements fabriqué en Chine” “j’ai arrêté les commandes de jouets en plastique sur AliExpress” ou “j’arrête de consommer des Kiwis de Nouvelle Zélande par paquet de 12”.
Nombre de voyageurs voient monter en eux un phénomène de désalignement entre les valeurs qu’ils portent (prise de conscience écologique, actes quotidien de limitation des déplacements ou de réducations des déchats….) et certains de leurs actes ou comportements (voyage en avion, consommation effréné de Netflix….)
Tourisme responsable : de voyager plus à voyager mieux
L’heure n’est plus au voyage effréné en quête de nouveaux mondes. Malgré l’appétence de l’humain à dépasser ses propres frontières, rendu notamment possible par l’avion, les enjeux de notre ère moderne poussent à un usage raisonnable.
Le tourisme de loisirs et le tourisme d’affaires sont à ré-inventer, notamment dans la perspective de limiter le réchauffement climatique. Les acteurs historique du tourisme responsable militent depuis plusieurs années pour un respect de l’environnement, de la culture et des populations locales par les touristes. Le développement de l’éco-tourisme, du tourisme solidaire ou humanitaire en sont des manifestations évidentes.
Transformation de l’offre Air France vers un marketing responsable face à l’évolution de la conscience écologique
Le temps où Air France voulait “faire du ciel le plus bel endroit de la Terre est révolu. Aujourd“hui, la compagnie aérienne tente faire rimer ”voyager dans le ciel’ et “préserver la Terre“. La transformation récente de l’offre avec l’ajout d’une compensation carbone pour les vols intérieurs ainsi qu’une promesse de réduction des émissions illustre que la préoccupation grandissante des français (environnement, écologie et changement climatique) devient un enjeu de pérennité du business d’Air France.
Passons maintenant à l’analyse de l’évolution de l’offre AirFrance via l’email envoyé en début d’année à l’ensemble de sa base de données.
Objet : Voyagez neutre en CO2 avec Air France
L’objet annonce la promesse d’Air France vis à vis des voyageurs afin de les déculpabiliser les voyageurs et de combattre le désalignement vu plus haut.
Accroche et support d’accroche du message : entre engagement et responsabilité
Plus que faire évoluer son offre, Air France repense sa proposition de valeur en déclamant “Par amour du voyage, repensons notre façon de parcourir le monde”. Par ses simples mots, Air France amorce un changement de paradigme vers une idée du voyage plus durable et respectueuse de l’environnement.
Dans ces quelques lignes, Air France utilise 2 principes de persuasion :
- engagement : la promesse du voyage durable est clairement exprimée par la compagnie aérienne
- responsabilité : Air France ne minimise pas l’impact de son activité sur son environnement, c’est même la base de son discours pour crédibiliser sa démarche et prouver son humilité et sa bonne foi
Body : Preuve de l’engagement environnemental en 3 actes
L’engagement se matérialise dans l’objectif de réduction de 50% des émissions de CO2 en 2030, notamment soutenu par une série de mesures éco-responsables
Sachant que les efforts déployés par la compagnie ne seront pas immédiats, Air France s’engage à compenser 100% des vols internes. Là, on matérialise la bascule opérée par Air France. il n’est plus question seulement de communication, il est question d’action, d’engagement, d’implication et de résultats. On ne peut que saluer cette décision d’Air France qui valide l’enjeu environnemental du développement de la mobilité globale.
Air France utilise le principe de persuasion qu’est l’autorité en nouant un partenariat avec un acteur internationalement reconnu pour ses programmes en faveur du climat qu’est EcoAct. De fait, la compagnie assoie la légitimité de sa démarche afin de se prémunir de toute critique #greenwashing.
Air France utilise un autre principe de persuasion, la réciprocité : le programme Trip dan Tree incite le voyageur à contribuer activement à des projets de reforestation. La réciprocité est activé par “le geste” de compensation carbone d’Air France au profit du client, lui demandant ensuite en retour un geste responsable pour soutenir la cause.
Les grincheux ou haters diront qu’Air France ne fait que répondre à une demande grandissante de ses clients de peur de perdre ces derniers. OUI, certainement, mais ils ont le courage et le mérite de le faire. Sans connaitre le coût véritable de ce changement de modèle, il n’est pas neutre (de devenir neutre en carbone ;-)).
Les effets attendus sur les clients par cette dimension de l’offre Air France
Air France est clairement dans une situation préventive vis à vis des conséquences possibles d’un rejet massif du transport aérien par conviction écologique des citoyens. Par cette nouvelle proposition de valeur, la compagnie française souhaite :
- sauvegarder la dimension émotionnelle du voyage
- lever le frein psychologique (culpabilité de l’empreinte environnementale) du client
- partager la responsabilité et l’engagement (réciprocité vu plus haut) avec le client
Les prochaines étapes de la transformation de l’offre Air France : de FlyingBlue à Flying Green ?
Le programme FlyingBlue, connu pour cumuler des miles lors de vols avec Air France, est certainement l’un des programmes de fidélité le plus structuré et attractif de l’hexagone.
Basé sur la consommation de voyage avec la compagnie aérienne, il permet à des voyageurs réguliers de profiter de vols gratuits (ou presque) après x voyages et milliers de kilomètres parcourus.
Ce système, assez vertueux par principe, incite donc à voyager et récompense les voyageurs réguliers (notamment pour les Affaires). L’équation est simple : + de voyages = +de miles.
Maintenant, si l’on projette cette nouvelle proposition de valeur, dès lors qu’Air France incite la responsabilisation de chacun dans le voyage, il faut rajouter à cette équation la variable empreinte carbone dans un objectif de préservation de l’environnement.
Par souci de cohérence sur la stratégie nouvellement adoptée, le programme FlyingBlue devrait intégrer la dimension environnementale dans la rétribution des voyageurs.
Le service marketing d’AF va devoir se creuser les méninges pour trouver un système de gratification qui valorise la consommation de voyage responsable sans toutefois sanctionner les “gros”voyageurs (le plus souvent présent dans le monde des affaires).
Récompenser spécifiquement les voyageurs contribuant au programme Trip and Tree lancé par Air France (mentionné dans le mail analysé plus haut) est une piste à creuser.
Gageons qu’Air France ait déjà réfléchi à la refonte de son programme de fidélité pour épouser les enjeux environnementaux des années 2020.